THOMAS BEAURAIN OU LA CONSÉCRATION MÉRITÉE
Par Christopher Galmiche
Au lendemain de son premier succès de Gr1 dans le Prix La Haye Jousselin avec Gran Diose (Planteur), et juste avant de se rendre à Angers pour se mettre en selle, Thomas Beaurain nous a accordé un peu de temps. L’occasion de revenir sur cette victoire riche en émotions, mais également sur son année et son parcours.
L’annonce de la monte
Partenaire attitré de Gran Diose, Clément Lefebvre s’est retrouvé sur la touche, suite à une chute survenue lundi 11 novembre à Angers. En quelques heures, l’entourage du champion de Frédéric et d’Oscar Hinderze et de Luc Monnet a dû choisir un jockey pour le Prix La Haye Jousselin. Le choix s’est logiquement porté sur Thomas Beaurain qui avait déjà monté le cheval avec une deuxième place à la clé dans le Prix Hubert d’Aillières (L, haies) 2023. Thomas nous a raconté comment il a appris la nouvelle : « Louisa m’a appelé mercredi en début d’après-midi pour me dire que Clément [Lefebvre, ndlr] ne pourrait pas monter et qu’elle aimerait que je sois associé à Gran Diose car je connaissais le cheval pour l’avoir mené en course. Elle en a parlé avec les copropriétaires de Gran Diose et j’ai eu la confirmation le jeudi midi. L’an dernier, j’avais travaillé Gran Diose à l’entraînement avant de le monter lors de sa rentrée 2023. Ensuite, sur le steeple, je l’avais travaillé lorsque James [Reveley, ndlr] était accidenté. Mais je ne l’avais pas ressauté par la suite puisque c’était Clément qui travaillait son cheval. Je suis allé vendredi matin chez Louisa [Carberry, ndlr] pour éventuellement sauter Gran Diose mais elle n’a pas voulu changer la préparation habituelle du cheval… Avec Louisa, nous avons juste fait un briefing. Nous avons échangé sur le Prix La Haye Jousselin et elle m’a mis en confiance. Elle m’a dit : « Le cheval est bien, tout est parfait. Nous avons confiance en toi alors il faut que tu aies confiance en Gran Diose. Tout va bien se passer. » Nous n’avons pas spécialement parlé de tactique. Nous savions que deux chevaux allaient prendre les devants, Il Est Français et Juntos Ganamos, et qu’ils allaient mettre du rythme. Louisa m’a dit qu’il fallait « concerner » Gran Diose tout de suite, ne pas laisser Il Est Français et Juntos Ganamos partir, ne pas leur laisser un obstacle d’avance… sans pour autant mettre mon partenaire dans le rouge. Il fallait aussi que je soigne nos premiers obstacles afin que nous nous mettions en confiance, le cheval et moi. Ensuite, tout s’est déroulé comme dans un rêve. Nous ne savons jamais comment une course peut se passer. On le voit bien avec Il Est Français qui a été arrêté, Juntos Ganamos qui a pilé. Mais de mon côté, tout s’est parfaitement déroulé. Nous avons été faciles toute la course. »
En face, c’était gagné !
Lorsque Gran Diose a avancé sur la piste extérieure, que Juntos Ganamos (Martaline) s’est montré hésitant au rail-ditch et qu’Il Est Français (RS) (Karaktar) a été arrêté, la cause n’était pas loin d’être entendue. Nous avons demandé à son partenaire à quel moment il a senti le parfum de la victoire : « En face ! Lorsque nous avons avancé pour venir sur le rail-ditch et le moyen open-ditch. Je me suis bien appliqué sur ses deux sauts et ensuite, de lui-même, Gran Diose a trouvé de l’action. Il a mis un premier uppercut à ses rivaux à ce moment-là. Pour arriver sur la dernière haie de la ligne d’en face, je sentais que nous n’avions personne à notre hanche. J’ai gardé le cheval concentré à ce moment car il avait fait une grosse faute sur la dernière haie de la ligne d’en face dans le Prix Héros XII. Clément m’avait dit de ne pas le laisser se relâcher car, après avoir passé les gros, les chevaux ont tendance à le faire. Après le dernier obstacle de la ligne d’en face, je sentais qu’il n’y avait personne derrière moi. Gran Diose était très tonique et il en avait sous la pédale. À ce moment de la course, je me suis dit que cela sentait bon. Ensuite, je me suis appliqué sur les deux derniers obstacles mais nous avions fait le trou. »
De grandes sensations
À cheval sur ce géant bourré de talent qu’est Gran Diose, on doit ressentir des émotions particulières… « C’est vrai qu’il est grand et puissant. Il dégage beaucoup de force dans sa façon de galoper et de sauter. Lorsque l’on est à cheval sur lui, on vit de fortes sensations que l’on ne vit pas avec les autres chevaux. »
Au nom du père
Père de Thomas, Jean-Yves Beaurain a été l’un des meilleurs jockeys d’obstacle français. Avec Bernard Secly, honoré dimanche également à Auteuil par une Listed portant son nom, il a formé un tandem redoutable à Auteuil. Et bien sûr, les deux hommes ont marqué à jamais l’histoire de l’obstacle avec les sept succès d’Al Capone II (Italic) dans le Prix La Haye Jousselin. La passion pour les courses de Thomas Beaurain est d’ailleurs née grâce à Al Capone II et nous avons le souvenir de lui, en chemisette jaune pâle avec une cravate, sur le podium du Grand Steeple-Chase de Paris (Gr1) 1997 d’Al Capone II, au côté de son père. Dimanche, c’était à son tour de monter sur le podium en tant que jockey, sous les yeux de Loris, son fils en pleurs, adepte des courses de poneys… « Cette victoire de Gran Diose m’a apporté une double émotion. L’histoire est belle… Je me suis retrouvé sur Gran Diose au dernier moment, et donc parmi les favoris d’un Gr1. Et cela ne m’était jamais arrivé. De plus, je montais en remplacement de Clément. La première émotion est d’avoir supporté la pression et la seconde, c’est d’avoir remporté cette course… J’ai aussitôt pensé à mon père… Ce qui m’a donné la passion des courses, ce sont les victoires d’Al Capone II dans La Haye Jousselin. Gagner mon premier Gr1, dans cette épreuve, c’est un rêve. »
La roue tourne
Travailleur acharné, Thomas Beaurain a connu son lot de blessures comme de nombreux jockeys d’obstacle. Mais il a pu enfin avoir sa chance dans un Gr1 et se voir récompensé. « J’ai eu des hauts et des bas dans ma carrière. Je n’ai jamais eu trop de chance avant ce Prix La Haye Jousselin 2024. Encore cette année, j’ai vécu une année riche en émotions. J’ai fait un bon meeting de Pau et le début d’année se présentait bien. Mais j’ai été accidenté début mars et je me suis fait un arrachement osseux. J’ai été arrêté un mois. Puis j’ai réalisé un printemps moyen, un week-end du Grand Steeple où je n’ai quasiment pas monté… Je me suis remis en question en juin. Je suis allé monter cinq lots dans les écuries, en repartant de zéro. J’ai sillonné la province tout l’été, sans prendre de vacances car j’avais envie de monter. Et là, je fais un automne extraordinaire. J’avais gagné le Prix Dominique Sartini (L) avec Zéphyr de Beaumont (Masked Marvel) et je me retrouve à m’imposer dans un Gr1… Je suis passé d’un mois de juin où j’ai « trimé » à la gloire six mois plus tard. C’est vraiment un ascenseur émotionnel extraordinaire ! » Thomas Beaurain ne ménage pas sa peine : « Je suis free lance. Je vais une fois ou deux par semaine chez Louisa [Carberry, ndlr] et chez Alain Couétil, lorsque je suis à Senonnes. Une fois par semaine, je vais sauter chez Erwan Grall et chez Jérôme Delaunay. Et lorsque cela se présente, il m’arrive d’aller chez Nicolas Paysan. » Comme de nombreux jockeys d’obstacle, Thomas Beaurain travaille avec un agent, Pauline Dominois. « Je travaille avec Pauline Dominois depuis cet été. Elle m’a fait une proposition et je l’ai acceptée. Elle s’est donnée à fond. Nous avons fait la province où elle m’a permis de faire des gagnants un peu partout. La confiance est revenue et quatre mois plus tard, nous décrochons le Graal. »
Une belle fin d’année se profile
Thomas Beaurain n’en a peut-être pas fini avec les Grs1 puisqu’il devrait monter Zéphyr de Beaumont dans le Prix Renaud du Vivier, dimanche à Auteuil. Ce dernier pourrait très bien faire si les pistes s’alourdissent à nouveau. « Zéphyr de Beaumont est vraiment très bien, je pense qu’il a passé un palier. Dans la dernière préparatoire, il y avait Kingland (RS) (Cokoriko) et les autres et je pense qu’il peut faire partie des autres. Derrière Kingland, c’est assez ouvert et Zéphyr de Beaumont est un bon cheval. S’il se met à pleuvoir avant le week-end, cela ne peut que nous avantager. » Après Auteuil, Thomas Beaurain mettra le cap sur le Sud-Ouest. « J’ai commencé à préparer Pau où j’aurais de bonnes cartouches. Nous allons arriver sur le meeting avec des ambitions. Je serai basé à Pau durant les deux mois du meeting et je ferai des allers-retours à Cagnes en fonction des montes. »
Un parcours riche et varié
Pour ceux qui n’ont pas suivi le parcours de Thomas depuis ses débuts, voici toute l’histoire : « J’ai fait quatre ans comme gentleman-rider. C’était une très bonne expérience qui m’a permis de découvrir les courses. Parallèlement, j’ai continué mes études en comptabilité. Puis j’ai travaillé un an dans l’immobilier alors que j’étais gentleman. Depuis octobre 2007, je voulais vraiment être jockey professionnel et j’ai passé le cap. J’ai passé un an chez mon père [alors entraîneur, ndlr], puis j’ai fait un meeting de Pau chez Jean-Paul Delaporte. À la suite de cela, j’ai eu plusieurs propositions et je suis rentré au service de Nicolas Bertran de Balanda qui cherchait une décharge à Lyon. J’y suis resté trois ans. Puis j’ai perdu ma décharge et j’ai travaillé un an et demi chez Emmanuel Clayeux. J’avais passé trois mois aussi chez Arnaud Chaillé-Chaillé. À la suite d’un bon meeting de Pau, je suis arrivé dans l’Ouest chez Jean-Luc Guillochon avec qui j’ai travaillé un an. Je suis passé free lance ensuite. »