Florent Couturier : « Un partant dans un classique, c’est une exception »
Florent Couturier, sous l’entité Snig Élevage, est l’éleveur d’Al Aaali (City Light), partant dimanche dans le Qatar Prix du Jockey Club (Gr1). La veille, il aura vu It’s Win O’Clock (Ivanhowe), qu’il a élevé avec Jean-Marie Callier, courir le Prix Questarabad (Gr3). Et dimanche dernier, un autre de ses élèves, Topgear (Wootton Bassett), a remporté de toute une classe le Prix du Palais-Royal. Une période faste alors que naissent au haras du Bois Carrouges moins d’une dizaine de poulains par an…
Par Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
« Avoir un partant dans un classique, il faut bien réaliser que c’est une exception », attaque d’emblée Florent Couturier. L’homme a un parcours singulier dans le monde de l’élevage, ayant découvert les pur-sang tardivement. Les chevaux, en revanche, sont inscrits dans l’ADN de la famille depuis plusieurs générations. « Mon grand-père, Auvergnat d’origine, avait bien réussi dans les affaires et il était passionné de trotteurs. Il avait acquis à 25 km de Paris une ferme qu’il a transformée en haras. Il est mort en 1939, au tout début de la guerre, et ma mère, une urbaine, n’a pas voulu conserver les chevaux. Elle a installé un locataire dans le haras… qui n’a jamais payé le loyer ! Dans les années cinquante, mes parents ont entrepris de mettre de l’ordre dans cette histoire, et à l’issue d’un procès qui a duré quatre ans, ils ont récupéré la propriété, mais pas les loyers impayés. Le haras est devenu une écurie de propriétaires, et j’étais passionné de concours hippique. Quant au locataire indélicat, un certain Alfred Siegris, il a cofondé plus tard le haras du Taillis. À son décès, une vente de dispersion de ses juments a été organisée. L’apprenant, ma mère a absolument voulu s’y rendre, comptant acheter des juments sans les payer pour récupérer son dû ! Elle y a rencontré Pierre-Charles Le Métayer qui l’a prise sous son aile. Voyant sa motivation, il lui a même conseillé de se rendre à Deauville en décembre pour la vente d’élevage. Je l’y ai accompagnée. C’est ainsi que j’ai découvert les pur-sang. J’étais alors chef d’entreprise, d’une boîte dans l’informatique. Je n’avais plus le temps de monter à cheval, et pour garder un pied dans ce milieu, je me suis dit que l’élevage de pur-sang serait une bonne option. J’ai demandé à Pierre-Charles s’il connaissait un haras à vendre. Il m’a rappelé quinze jours plus tard pour me proposer de louer avec lui le haras du Buff. C’est ainsi que tout a commencé. Ensuite, j’ai acquis en 1990 ce qui allait devenir le haras du Bois Carrouges, mais qui n’était à l’époque que des terres laissées à l’abandon. Nous avons construit notre structure, toujours dans l’idée que l’élevage resterait un hobby. »
Le Kentucky à défaut du Bessin
Les années passent et Florent Couturier vend sa société. Il se met en quête d’une propriété plus grande et trouve ce qu’il croyait être son bonheur dans le Bessin. « J’estimais que c’était le meilleur endroit pour élever, car moins sujet aux épisodes de sécheresse que nous pouvons rencontrer à Bois Carrouges, au nord de l’Alençon. Par deux fois, j’ai acheté une propriété… que la Safer a préemptée ! Aussi, lors de l’un de mes voyages à Keeneland pour acheter des juments, je suis tombé sur une ferme à vendre à Paris, Kentucky. Là aussi, tout ou presque était à bâtir, mais je me suis lancé. Nous sommes partis en famille avec ma femme, Cécilia, et la plus jeune de nos filles. Pendant presque quinze ans, j’ai partagé mon temps entre Redmon Farm et Bois Carrouges, avant que le Covid ne vienne tout chambouler, et que l’âge avançant, j’ai pensé qu’il était plus raisonnable de rentrer en France. »
De Silvestri à Al Aaali
Parmi ses achats américains pour élever en France figurait La Zubia, fille de Montjeu proche de son black type en France pour les couleurs Darpat, et exportée aux États-Unis où elle a gagné. « Les filles de Montjeu commençaient à pointer le bout de leur nez. Elle avait un pedigree maternel solide, c’était une belle jument… Je l’ai fait saillir par Mizzen Mast et je l’ai envoyée pleine en France. Le premier produit, Trinity, a été vendu aux États-Unis après une bonne deuxième place dans un maiden pour sa deuxième sortie. Talco, le frère de La Zubia, avait entre-temps gagné au niveau Gr1 aux États-Unis. Cela a joué. Elle a donné ensuite une femelle de Maxios, puis avec Siyouni, Silvestri, deuxième du Prix de la Grotte (Gr3) et au départ de la Poule d’Essai. Puis la jument a produit de façon plus modeste. Pour ne pas la « sursaillir », je suis allé à un jeune étalon fils de Siyouni, City Light, avec l’idée de ramener de la vitesse sur cette famille de tenue. C’est ainsi qu’est né Al Aaali, tout petit à la naissance mais plaisant, très actif au paddock, et qui a bien évolué lors de sa préparation aux ventes, menée par le haras de l’Hôtellerie. Lucie Pontoir l’a acheté 38.000 € en octobre et vous connaissez la suite. Après un Zarak âgé de 2ans, la jument a un yearling par Persian King qui ressemble beaucoup à Al Aaali, et qui est né tard, raison pour laquelle La Zubia n’a pas de foal. Elle est en revanche pleine de Vandeek. »
Topgear, dans la même veine
L’histoire de Topgear, l’autre fer de lance actuel de Snig Élevage, est assez similaire. Miss Lech (Giant’s Causeway), la mère, a été achetée à Keeneland par Florent Couturier, séduit par cette belle jument au pedigree solide et à la tête raffinée, contrairement à beaucoup de Giant’s Causeway. « Elle n’était pas black type, et une fois arrivée en France, elle est allée à Intello, dans l’idée toujours de ne pas «sursaillir» une jeune jument. Je suis de la vieille école. Le sire power a pris beaucoup d’importance aux ventes, mais il faut aussi regarder les pedigrees des mères. Après ce produit d’Intello, devenu un honnête cheval de course, elle a une femelle de Scissor Kick, toute petite et que nous avons vendue à Osarus. Elle a gagné sa vie et Sébastien Desmontils, qui a acheté Topgear, s’en est rendu acquéreur lorsqu’elle est passée sur le ring de la vente d’élevage. Les deux premiers produits de la jument étant corrects, j’ai un peu haussé le niveau de jeu des étalons en choisissant Wootton Bassett, qui n’était pas encore ce qu’il est devenu. La saillie coûtait 20.000 €. Puis Almanzor est sorti et quand Topgear est passé en vente, ce très beau poulain noir a fait monter les enchères jusqu’à 200.000 €. Après avoir été vide plusieurs années, Miss Lech a une yearling de St Mark’s Basilica que nous allons conserver. Elle a un foal de Wootton Bassett et elle est pleine de Siyouni. Elle a mérité que je casse ma tirelire ! »
Les hauts, les bas, la vie d’éleveur quoi !
Florent Couturier mesure d’autant mieux le facteur chance qui entoure cette période faste qu’il connaît, comme tous les éleveurs, les moments de doute, de tristesse parfois. Après la vente de son haras américain, il a rapatrié ses juments en France, dont Gamely Girl (Arch), sa meilleure jument, mère notamment de Decorated Invader (Declaration of War), gagnant de Gr1 outre-Atlantique. « Nous l’avons perdue à dix jours du terme. Nous l’avons retrouvée un matin avec trois mètres d’intestin dehors… La seule solution, c’était une césarienne pour sauver la pouliche, mais la mère a ensuite été euthanasiée sous mes yeux… Garamante (Omaha Beach), le produit de la jument, avait bien débuté sous l’entraînement de Fabrice Chappet puis il a fallu l’opérer d’un chip dans le genou. Elle n’a pu recourir ensuite et je l’ai envoyée aux États-Unis pour y être poulinière, aux bons soins de mon ami Xavier Moreau. De cette famille, il me reste Agadès (To Honor and Serve), dont la 2ans par Hello Youmzain passe à la vente d’été, préparée par Éric Ventrou, Casamance (Distorted Humor), qui a une yearling de The Grey Gatsby très plaisante, Cacimar (Cacique) et Ormarine (Cracksman). »
Ainsi, Snig Élevage, c’est aujourd’hui une dizaine de poulinières stationnées au Bois Carrouges, en pleine propriété, trois ou quatre poulinières d’obstacle en association avec Jean-Marie Callier, et une participation dans une jument d’obstacle avec l’Hôtellerie. « Nous sommes éleveurs propriétaires, même si nous vendons quelques produits tous les ans. Mais des éleveurs propriétaires à toute petite échelle ! » Une échelle qui pourrait bien grimper vers le ciel dans les jours à venir…