La crise des courses est-elle due à leur faible médiatisation ?
L’absence du sport hippique sur les grandes chaînes de télé est-elle la preuve de son déclin… ou est-ce parce que les courses sont en déclin que la télé n’en veut plus ? Nous sommes dans le symbole de la poule et de l’œuf. À quoi doit-on la popularité des courses ? Au tiercé. Qui est responsable de leur déclin ? Le tiercé. C’est parce que j’ai connu – et vécu – l’âge d’or du cheval à la télé (et l’âge d’or de la télé, tout court) que JDG m’a demandé d’établir un bilan comparatif entre hier et aujourd’hui. En d’autres termes et en langage trivial, de déterminer « où ça a « merdé » ? »
Jean-François Pré
Journaliste et écrivain
La culture hippique
La France est un pays de tradition équestre mais non hippique. C’est un groupe de dandys anglomanes qui les a « importées » en France, sous le Second Empire. Les courses seraient restées ad vitam aeternam un loisir aristocratique – quelque part exotique – si, un beau jour de février 1954, un génie nommé André Carrus n’avait eu l’idée de faire jouer les Français sur trois chevaux, au lieu d’un seul. Cette invention révolutionna le modèle économique du sport hippique mais en pervertit les fondements culturels. Le pari combiné instille l’usage du numéro et obère le cheval-athlète. Le sport s’incline devant le jeu ; le cheval n’a plus de nom, il porte un chiffre. Aveuglés par la manne d’or qui pleuvait sur les courses, les dirigeants de l’époque ont dansé sur le magot au son mélodieux d’un carpe diem jubilatoire. La cigale, vous connaissez… ? L’opulence est plus difficile à gérer que la pénurie car il faut une vision. Quelle devait être LA vision pour les courses ? Avant tout, rester lucide et prendre conscience de l’aspect artificiel du « miracle ». À l’exception du Japon, tous les pays où les courses « marchent » aujourd’hui sont d’anciennes colonies britanniques. Il n’y a pas de hasard, il y a des racines. Sans racines, le « soufflé » était appelé à retomber… tôt ou tard. C’était une fatalité. Toutefois, l’entrepreneur visionnaire avait la possibilité de prévenir cette fatalité. Cet entrepreneur visionnaire… que l’on attend toujours.
L’institution
Je n’ai aucune compétence en économie mais j’ai toujours entendu dire que l’inflation était le pire des fléaux. D’un tiercé par semaine, on est passé à deux, puis à trois et ainsi de suite. Après les trois numéros magiques, on en a proposé quatre, puis cinq. L’événement qu’avait créé Carrus n’en était plus un ; le rendez-vous du cheval avec la France était devenu une banale routine. Comme il n’était pas sous-tendu par la passion, la culture ou la tradition du cheval, il s’est naturellement affilié aux jeux de hasard et n’a, évidemment, pu contrer la concurrence des vrais jeux de hasard. Car, outre l’aspect sociétal et socio-culturel, le tiercé est devenu le parent pauvre des jeux d’argent. Dans les années 60-70, un gros tiercé pouvait vous payer une voiture, voire un appartement. Aujourd’hui, seuls les jeux de hasard entretiennent la cupidité onirique. Le cheval ne fait plus rêver que son propriétaire. Ou le sportsman qui s’assimile plus au supporter qu’au parieur.
La télé
Dans ce contexte et sans réaction de la part des organisateurs, le divorce entre les courses et la télé était inévitable. Je l’ai vécu « en direct » ! À mon époque, l’audience de TF1 était plus forte que celle des autres chaînes cumulées. Elle surfait sur la vague sociétale. Étienne Mougeotte nous avait appris qu’il ne fallait pas faire la télé qu’on aimait mais celle que les spectateurs attendaient… faute de quoi, on crevait ! En 1987, date de la privatisation de TF1, le tandem Le Lay – Mougeotte avait les yeux de Chimène pour le cheval. Ils y croyaient et pensaient booster l’audience de la chaîne à travers lui. Le phénomène Ourasi, lié à la force de frappe de la « Une », faisait entrer l’hippisme dans les foyers. Mais, là encore, l’Institution a manqué de vision. Il n’y eut qu’un Ourasi et, passé l’historique coup de quatre, lorsque le sport hippique est redevenu ce jeu terne et répétitif… il a subi le même sort que le carrosse de Cendrillon. Les grandes chaînes se sont refilé le bébé, puis… plus personne n’en a voulu. Fin de l’histoire. Et je vous passe le lamentable épisode de la grève du PMH qui sabota l’émission de Guy Lux « Un soir aux courses », appelée à propulser notre sport en prime time sur la première chaîne européenne. L’expression « scier la branche sur laquelle on est assis » n’a jamais trouvé meilleure illustration.
Les fausses routes
Dès lors, le PMU et les sociétés de courses n’ont emprunté que des fausses routes. La toute première remonte aux « années Giscard », lors de la création du loto. La gestion en fut proposée au PMU qui, d’un revers condescendant, la renvoya dans le camp adverse. Lorsque la faute fut actée, la deuxième consista à se placer en concurrent du loto, plutôt que de l’ignorer. Erreur fatale ! Les courses sont un sport, non une loterie. Les courses suscitent un exercice cérébral, elles ne convoquent pas la chance pure. Les courses sont un spectacle, non une roue de la fortune. Il fallait se placer en concurrent du tennis, du football, du théâtre, du cinéma, des parcs d’attractions et que sais-je… mais surtout ne pas « vendre » un remake du tiercé des années 60 où trois petits numéros pouvaient changer votre vie. Quand on veut jouer sur deux tableaux, on perd toujours. Les « Spots », les rapports de consolation, les tirelires furent de très mauvaises idées. Le turfiste – le vrai, le fidèle – ne cherche pas la fortune. Il veut gagner grâce à sa perspicacité. C’est le principe du pari mutuel : quand on est plus fort que les autres, on prend l’argent des autres. C’est pourquoi les rapports de consolation n’ont aucun sens. Ils sont parfois tellement faibles que le joueur se sent humilié ! Le PMU n’a jamais compris la psychologie du parieur et les sociétés de courses non plus… pour des raisons très différentes.
Quel avenir pour les courses ?
Je crains que l’avenir ne se niche dans le rétroviseur. J’entrevois un retour à la case départ. L’entre-soi aristocratique des Morny, Seymour, La Moskowa et consorts métamorphosé en un entrisme financier. Les hippodromes sont devenus les temples du (blood)stock-exchange dont le parieur est un acteur symbolique. Puisque le jeu finance les allocations et que les allocations ne servent qu’à faire (sur)vivre les petites écuries. On réalise que le système est faussé quand la médiatisation se focalise sur les épreuves de second ordre, au mépris des grandes joutes. Cela n’existe dans AUCUN sport ! Les courses retrouveront-elles jamais leur popularité ? Et surtout… souhaite-t-on qu’elles la retrouvent… ? Si oui, il faut des idées. Souvent, on les trouve chez les plus humbles. Certains petits hippodromes de province savent encore organiser la fête autour du cheval. Ils n’ont pas le choix ; c’est le succès ou la mort. Le jacobinisme hippique autour de l’axe PMU a endormi, pour ne pas dire anesthésié, les promoteurs du grand barnum parisien. Dénoncer, c’est bien… proposer, c’est mieux. Au risque de me faire traiter de fou, je préconise cinq mesures urgentes :
• Créer des handicaps de Groupe, comme aux US, pour que les meilleurs se retrouvent sous les projecteurs des paris combinés. C’est iconoclaste, je sais, mais nous sommes tributaires d’un système où la quantité prévaut sur la qualité ; il faut s’y adapter.
• Supprimer les consolations et les tirelires de façon à revaloriser les (vrais) rapports.
• Instaurer les paris à cote fixe.
• Faire revivre les hippodromes en assurant un spectacle continu. Sur deux scènes : le rond de présentation et la piste. Le rond de présentation ne doit jamais être vide. C’est l’avant-scène, la préparation du cheval appartient au spectacle. Ouvrez les coulisses ! Les courses véhiculent une tradition d’élégance ; il faut jouer cette carte à fond. Sur la piste aussi. Aujourd’hui, certains jockeys, lorsqu’ils sont à la lutte, « tombent le cul dans la selle », les rênes en guirlande. C’est très laid. Revisionnez les arrivées des « années Saint-Martin », vous verrez comme le style des jockeys était fluide ! Supprimer la cravache est une mesure démagogique. Peaufiner l’esthétique d’un spectacle qui se veut élitiste flattera l’œil du public.
• Côté paris, je suggère que les opérateurs du PMU, au lieu d’attendre sagement le chaland, aillent le chercher. Le haranguent. À la manière des bookmakers, par exemple. En annonçant les cotes et leur fluctuation à voix haute. Après tout, le jeu est un commerce. On peut vendre des paris, comme des melons sur le marché ! Vous voulez de l’ambiance, vous voulez faire revenir le public et la télé… ? Alors, ne restez pas les deux pieds dans le même sabot !
Que mes idées plaisent ou non, ce ne sont que mes idées et, comme disait l’humoriste… je les partage. Les courses ne sont plus mon métier mais restent ma passion ; c’est pourquoi je me sens concerné. Qu’on m’accuse de félonie, qu’on me traite d’illuminé ou de doux rêveur n’a aucune importance. Une seule chose compte et il faut en prendre conscience : pour sortir les courses du marasme, il faudra un remède de cheval.