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vendredi 20 juin 2025
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Gezora, comme un signe des temps

Gezora, comme un signe des temps

Alors que près de la moitié des yearlings d’Europe se vendent sans profit, les éleveurs cherchent des solutions pour valoriser leur production. C’est le cas de Gezora, gagnante du Diane 2025, qui n’est pas passée en vente car issue d’une vieille jument et d’un étalon passé de mode.

Par Adrien Cugnasse

ac@jourdegalop.com

En matière d’élevage, la question du niveau de résultat attendu pour chaque reproducteur est centrale. En d’autres termes, on attend beaucoup plus d’un très bon cheval qui débute au haras à 50.000 € la saillie – avec les juments à l’avenant – que de son voisin qui commence à 5.000 €. Si, avec leurs premiers produits, les deux jeunes sires ont strictement les mêmes résultats en piste, le premier pourrait tout à fait être considéré comme un échec et le second une réussite. C’est la même chose pour les juments. Si Germance (Silver Hawk) avait été une jument « normale », son bilan (avant de donner Gezora) aurait été tout à fait bon : neuf partants, six gagnants, un black type avec Garance (Teofilo), placée des Prix La Sorellina, Casimir Delamarre et Petite Étoile (Ls). Mais, en tant que gagnante de Gr1 et placée classique, les attentes étaient forcément tout autres. Et, lorsqu’en 2021, elle a été saillie par Almanzor (Wootton Bassett), force est de constater qu’elle n’avait pas répondu aux attentes. La logique, pour un éleveur commercial, aurait été de passer la main et de la revendre sur un ring. Ce ne fut pas le choix de son entourage…

Ne pas vendre les bonnes juments de course

Nicolas de Chambure nous a confié quelques heures après la victoire de l’élève du haras d’Etreham dans le Diane 2025 : « En début de carrière de poulinière, Germance était stationnée aux États-Unis. Avec le recul, on voit qu’avec les étalons américains cela n’a pas forcément fonctionné, surtout avec des chevaux un peu lourds. En général, même lorsqu’elles ne confirment pas à l’élevage, nous gardons jusqu’au bout les anciennes « bonnes juments » de course. On veut pouvoir les conserver à la retraite chez nous à Etreham. C’est d’ailleurs actuellement le cas de Germance. Je préfère ne pas vendre des juments qui nous ont procuré autant de joie auparavant. » Statistiquement, nous savons qu’à partir d’un certain âge une jument a moins de probabilité de donner un bon cheval qu’en première partie de carrière. Mais, comme toujours, c’est une affaire de pondération. On a toujours plus de chances de connaître le succès avec le dernier foal d’une gagnante de Gr1 âgée de 19ans comme Germance qu’avec le deuxième produit d’une pouliche de 5ans prise en 20 de valeur ! Nicolas de Chambure poursuit : « La victoire de Gezora nous rappelle aussi à quel point notre sport peut défier les statistiques. Et les belles histoires existent. Gezora est née alors que sa mère avait presque 20ans. Son père était « entre deux eaux » sur le marché. Cette victoire nous pousse à relativiser beaucoup de choses. Et cela doit donner de l’espoir à bien des éleveurs. »

Les championnes ont besoin de temps au haras ?

Certains éleveurs – par le passé – ont obtenu de bons résultats avec de vieilles juments. C’est le cas des Wildenstein. Madelia (Prix de Diane, Poule d’Essai des Pouliches et Prix Saint-Alary, Grs1), Westerner (Ascot Gold Cup, Prix du Cadran, deux fois, Prix Royal Oak), All Along (Prix de l’Arc de Triomphe), Vallée Enchantée (Hong Kong Vase)… sont autant de chevaux issus de juments âgées. En 1994, Pacemaker notait : « Alec Wildenstein est convaincu qu’il n’y a aucune raison pour laquelle une vieille jument ne puisse pas produire un top cheval. Plus précisément, il pense que les grandes gagnantes ont tendance à produire de très bons chevaux plus tard dans leur carrière au haras. » Factuellement on voit que plusieurs grandes juments de course – comme Zarkava (Zamindar) ou Immortal Verse (Pivotal) – ont mis du temps à se déclencher au haras. Et parfois, comme pour Germance, un changement de type d’étalon a été bénéfique. Cela a d’ailleurs été assez spectaculaire dans le cas d’Immortal Verse ! Pour autant, que ce soit chez les chevaux de sport équestre ou de course, il n’y a pas d’évidences statistiques qui permettent d’affirmer qu’effectivement les femelles de top niveau mettent plus de temps à réussir dans leur nouvelle carrière au haras. Par contre, les juments capables de monter sur le podium d’un Gr1, qui représentent moins de 1 % du cheptel des poulinières européennes, ont donné cette année quatre des 10 lauréats de classiques (labellisées Gr1) en Europe. Ce n’est pas anodin. À l’inverse, alors qu’elles représentent 95 % de la population, les juments non black types n’ont que trois de ces 10 lauréats de Gr1 ! Nicolas de Chambure confie : « Nous avons deux sœurs de Gezora, Garance (Teofilo), suitée de City Light (Siyouni), et Galway (Wootton Bassett), suitée d’Onesto (Frankel) cette année. »

Des ventes devenues trop sélectives ?

Clairement une pouliche comme Gezora aurait certainement eu du mal à atteindre un prix acceptable sur un ring de vente. Pour beaucoup d’éleveurs, il n’y a pas d’alternative et mal vendre est la seule solution (plutôt que de devoir exploiter). Le haras d’Etreham, en reprenant une structure d’entraînement comme le haras du Bois, s’est donné les moyens de s’adapter à un marché qui est devenu très (voire trop) sélectif. Nicolas de Chambure poursuit : « Germance nous a donné avec Gezora une Almanzor assez atypique car assez légère. Elle fait un peu produit de « vieille jument ». C’est une très belle histoire, nous l’avons élevée et c’est une fille d’Almanzor (Wootton Bassett), un cheval qui nous a apporté de grandes joies. On connaît son histoire et, même délaissé par le marché, on voit que sur le tard l’étalon est capable de donner une super pouliche. C’est vraiment chouette d’avoir pu élever une championne par Almanzor. Gezora, c’est aussi la récompense du travail que nous avons effectué ces dernières années, avec la formation de jeunes chevaux au haras du Bois, notamment pour ceux qui n’avaient pas une grande valeur commerciale yearlings. Nous les mettons dans le circuit par ce biais-là. Gezora a été vendue sur performances. D’autres ont été conservés. C’est formidable pour Peter Brant et son équipe également. Nous avons pris notre temps car elle était un peu légère. Durant tout le printemps de son année de 2ans, elle bossait mais sans qu’on l’envisage comme une pouliche du premier semestre. Finalement, elle s’est déclenchée durant l’été. Elle montrait beaucoup de facilité et tout a été facile dès qu’elle est montée de catégorie. Nous ne connaissions pas vraiment ses limites. Nicolas Le Roch [l’entraîneur installé au haras du Bois, ndlr] ne les passant pas au gazon, on ne se rend pas forcément toujours compte de jusqu’où ils sont capables d’aller le matin. Et Gezora est venue physiquement de course en course. On l’a vendue comme une pouliche avec un vrai potentiel… dont on ne connaissait pas les limites. »

Tenue sur tenue ?

Aujourd’hui, peu de gens osent croiser deux géniteurs ayant atteint leur meilleur niveau sur 2.000m. Le plus souvent, l’éleveur moderne essaye d’avoir au moins un des parents vecteurs de vitesse. Ce n’est pas le cas de Gezora dont les deux parents ont brillé sur les 2.100m de Chantilly au niveau Gr1. Nicolas de Chambure poursuit : « D’une manière générale, j’essaye de ne pas croiser les extrêmes. Mais un étalon comme Sea the Stars (Cape Cross), vecteur de tenue, a aussi bien croisé avec des familles de tenue. Et ses bons chevaux sont capables d’accélérer dans les courses de distance. » Gezora n’a aucun ancêtre dupliqué dans les quatre premières générations de son pedigree : « C’est malheureusement trop rare de nos jours ! J’accorde beaucoup d’importance au fait de varier les courants de sang. Gezora est un bon exemple de cela. »

Almanzor, le meilleur pour la fin ?

L’ancien étalon du haras d’Etreham ne fait plus la monte en Europe depuis 2023. Conçue lors de la saison de monte 2021, Gezora fait partie de ses trois dernières générations sur le vieux continent. Dans le monde moderne, les étalons sont sur le gril en permanence et leur cote est revue en permanence selon les performances du moment. Or tout étalon a des hauts et des bas dans sa carrière. Et pour Almanzor, en Europe, la saison sportive 2025 est clairement la meilleure depuis le début avec trois gagnants de Groupe. Pourtant, il n’avait pas sailli son meilleur book de juments cette année-là. Nicolas de Chambure, qui a lancé le père et le grand-père sur le marché, analyse : « Cela fait plaisir de voir Wootton Bassett et son fils Almanzor briller dans les classiques en 2025. C’est vraiment super. Almanzor va peut-être avoir trois gagnants classiques la même année. » Son fils Molveno (Almanzor) vient de gagner le Derby italien (Gr2, 2.200m), alors que Zuckerhut (Almanzor) a récemment remporté l’Union-Rennen (Gr2, 2.200m), la préparatoire de référence au Derby allemand (Gr1). Il est d’ailleurs le favori des bookmakers allemands pour le classique de Hambourg. Ce qui est assez spectaculaire, c’est que les résultats d’Almanzor en Australie et Nouvelle-Zélande sont tout simplement deux fois meilleurs que ceux de l’hémisphère nord. Dans l’hémisphère sud, il compte 10 gagnants de Groupe, deux gagnants de Gr1 et 12,7 % de black types par partants. Chez nous, il a donné cinq gagnants de Groupe, un lauréat de Gr1 et 6,96 % de black types par partants. Pour chaque critère, c’est donc le double ! Pour certains étalons, c’est l’inverse et le grand Galileo (Sadler’s Wells) a été un échec lors de ses saisons de monte en Australie. Dans une interview accordée dimanche à Nick Luck, la légende du galop australien, Gai Waterhouse, confie : « Un jour, John Gosden m’a appelé en me demandant pourquoi je ne l’avais pas appelé pour prendre conseil après un achat dans son effectif. J’ai répondu très simplement : « John, le galop aux antipodes n’a rien à voir. Tout est si différent ici. Je préfère regarder le cheval qui vient d’arriver chez moi selon mes critères… » Un européen qui n’arrivait pas à dépasser le mile arrive parfois à tenir 3.000m ici. Un animal allergique au souple en Europe arrive à gagner sous la pluie en Australie. Tout est différent : l’entraînement, le rythme des courses, l’alimentation, le climat… Parfois les chevaux s’améliorent en changeant d’hémisphère. Parfois c’est l’inverse. » Et on a envie de dire que c’est la même chose pour les étalons !

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