LE MAGAZINE
Pierre Talvard : « Dans ce métier, on n’obtient rien sans travail »
Deux hommes et une pouliche. Dimanche, dans le rond réservé aux vainqueurs, ils étaient nombreux, grands et petits, à se masser autour de Godspeed (RS) (Hello Youmzain), lauréate du Prix de Sandringham (Gr2). Pierre Talvard, moustaches contre les ganaches de la pouliche, et Carlos Lerner, de l’autre côté, ne se regardent pas et pourtant la connexion entre eux est évidente, même sur papier glacé. C’est le premier Groupe de l’année pour la désormais classique maison Lerner, avec une pouliche élevée par le haras du Cadran. Ces deux-là rêvent de gagner un Gr1 « ensemble ». Avec La Parisienne (Zarak), il s’en est fallu d’une courte tête. Le passé est le passé. Le présent et l’avenir, c’est Godspeed (littéralement : que Dieu te donne la réussite)… Quarante-huit heures après ce dimanche classique, Pierre Talvard a assis sa longue et fine silhouette autour d’une table et il a raconté. Sa vision de l’élevage, des courses, de l’amitié. Sans ordre !
Adeline Gombaud
ag@jourdegalop.com
Une tête de reine
Il y a un an, les Lerner gagnaient le Jockey Club et Pierre Talvard avait mis à mal notre tympan gauche pendant la ligne droite. Dimanche, c’est en tant qu’éleveur ou coéleveur de deux partants du classique, Leffard (RS) (Le Havre) et Tipinso (RS) (Pinatubo) – né et élevé à Montaigu – que Pierre Talvard a enfilé son costume beige et a pris la route pour Chantilly. Forcément, c’est le Jockey Club qui occupait toutes ses pensées… Enfin presque. Quarante-cinq minutes avant le Gr1, Godspeed, pas toujours très heureuse cette année, cherchait son premier Groupe dans le Sandringham. Mission accomplie… « Je savais qu’elle avait une bonne chance mais j’étais un peu obnubilé par le Jockey Club et surtout Leffard… Christophe Soumillon a monté Godspeed à la perfection. Dimanche, j’ai trouvé la pouliche magnifique. Elle était plutôt légère en début d’année et elle a énormément changé au fil des mois. Elle a toujours été une jolie pouliche, et de sa période d’élevage, je me souviens surtout de ses yeux extraordinaires. Elle avait et a toujours une tête de reine. »
Élever, une question de patience
L’histoire de Godspeed remonte au mois de décembre 2010, quand Pierre Talvard achète à Deauville (pour 160.000 €) Mary’s Precedent (Storming Home), sortant de l’entraînement Lerner. « Elle était gagnante de Listed, et outcross. Aujourd’hui, on dirait que c’est la famille de Sistercharlie, Sottsass, etc., mais à l’époque le pedigree n’était pas aussi noirci. Je l’ai achetée et je me suis associé avec Jean Cottin. Je l’ai envoyée à Danehill Dancer. Elle a donné un mâle court, ramassé, que nous avions pas mal vendu et qui n’était pas loin de valoir une Listed, sous l’entraînement Lerner. » Le produit suivant, un mâle d’Acclamation, se fracture une jambe au paddock avant la vente d’octobre. Suit une Intello, issue de la première production du cheval, vendue aux Wertheimer pour qui elle avait plutôt bien débuté avant de s’accidenter lors de sa sortie suivante. Le premier black type arrive au cinquième produit, avec Mary’s France (Acclamation), deuxième de La Sorellina (L) et exportée ensuite aux États-Unis. L’élevage est un métier de patience ! Trois autres produits suivront avant que naisse Godspeed. « J’avais une demi-part d’Hello Youmzain, d’où le croisement ! Généralement, je n’investis pas dans les parts d’étalons, parce que c’est un peu comme avoir des étalons chez soi… Vous n’êtes plus libres de vos choix. J’ai une politique : soit la jument mérite et je veux le meilleur, soit elle ne mérite pas et je ne la garde pas. Cette année, je suis allé à Wootton Bassett, à Lope de Vega, à Blue Point… »
Se retrousser les manches
Pierre Talvard est aussi heureux quand il voit l’un de ses élèves passer le poteau en tête que lorsqu’il parvient à acheter la jument qui le fait rêver, souvent à Tattersalls, à Deauville, parfois à Keeneland… « Quand le marteau tombe en ma faveur, je ne pense pas au risque financier. C’est une nouvelle aventure qui commence ! Et c’est aussi pour cela que je tiens à être présent à chaque poulinage. Nous sommes avant tout des agriculteurs, nous devons être proches de nos animaux, les voir plusieurs fois par jour. Dans ce métier, on n’obtient rien sans travail. » Pierre Talvard sait de quoi il parle. Il s’est installé il y a plus de quarante ans avec rien. « Je n’avais ni argent, ni réseau. J’ai acheté cette petite propriété, avec cette maison en ruine, et je me suis retroussé les manches. Monsieur Seroul, que j’avais connu en travaillant au haras de Préaux de monsieur Lucas, m’a tout de suite fait confiance et je sais ce que je lui dois. Alors oui, ce n’est pas en bossant 42 h par semaine que j’ai pu construire ça. » Le Cadran, désormais, ce sont plus de 400 ha, et depuis l’été dernier, Pierre Talvard a été rejoint par son fils Emmanuel. « Il me libère de beaucoup de choses. Dimanche, c’est lui qui bossait au haras pour que je puisse aller à Chantilly. Mais cette semaine, renvoi d’ascenseur. Il a pris quelques jours et c’est moi qui gère… même s’il m’appelle quatre fois par jour ! »
Avant d’aller retrouver ses yearlings qui commencent leur préparation, Pierre Talvard a un dernier trésor à nous montrer. La photo toute récente du premier produit de Sippinsoda, la sœur de Leffard. Une magnifique foal de Lope de Vega : « La pouliche est splendide. La mère est pleine de Blue Point… » Regardez devant, toujours…