jeudi 16 mai 2024
AccueilAutres informationsAce Impact : la vérité des chiffres

Ace Impact : la vérité des chiffres

Ace Impact : la vérité des chiffres

Sauf si vous avez passé ces derniers jours dans une grotte, vous savez qu’Ace Impact (Cracksman) a remporté le Qatar Prix du Jockey Club (Gr1). Vous savez également qu’il a battu le record de la course et du parcours, jusque-là détenu par Sottsass (Siyouni). Mais, en lecteurs assidus de Jour de Galop, vous savez désormais que le temps et la vitesse ne veulent rien dire extraits du contexte. Ace Impact est-il le plus grand gagnant de Jockey Club sur 2.100m ? Bruno Barbereau (dont vous pourrez utiliser les services sur www.MoneyTime.club à partir du 16 juin) vous offre un décryptage de la performance du poulain.

Principe 1 : l’impression visuelle… est un mythe

Tout le monde est d’accord pour dire que l’impression visuelle laissée par Ace Impact dans le Jockey Club est exceptionnelle. Mais une impression visuelle, en tant que telle, ne veut pas dire grand-chose. Prenons un exemple. Vous êtes sur l’autoroute. Sur la voie de droite, une voiture roule à 90 km/h. Vous arrivez sur la voie de gauche à 130 km/h. Vous allez donc la laisser sur place et l’impression visuelle sera saisissante. Mais, un peu plus loin, vous allez croiser une voiture qui roule à 130 km/h et vous roulez désormais à 140 km/h. Vous allez bien finir par la doubler, mais plus péniblement. L’impression visuelle ne sera pas bonne et, pourtant, vous alliez plus vite.

La morale est simple : vous ne pouvez pas vous fier à l’impression visuelle.

Principe 2 : le temps brut… est subjectif !

Certains d’entre vous connaissent peut-être l’excellente série britannique Doctor Who, qui traite du voyage spatiotemporel. Le docteur maîtrise les arcanes du temps et il nous apprend une chose : le temps est quelque chose de complexe. Il résume ainsi son idée : « Les gens pensent que le temps est une simple progression de cause à effet mais, en vérité, d’un point de vue non linéaire, non subjectif, c’est plutôt une sorte d’énorme “boule” où le temps s’enchevêtre comme un méli-mélo très complexe. » C’est de la fiction et, pourtant, le docteur a raison dans le sens où le temps est sous influence. En ce sens, il nécessite une pondération.

Le principe est parfaitement connu dans l’athlétisme où les éléments extérieurs ont une incidence non négligeable sur les performances des athlètes. Ce n’est pas un principe nouveau. En 1973, Joseph Keller théorise les stratégies des courses à pied. Le principe est simple : on ne gère pas la vitesse de la même manière sur 100m ou sur 400m. Keller nous apprend qu’un humain peut courir 291m sans avoir à gérer sa distance. C’est pour cette raison que le 100m et le 200m sont des sprints. Pour les chevaux, le modèle de Keller donne jusqu’à 1.200m de course sans avoir à gérer la vitesse. C’est pour cela que, jusqu’à 1.200m, nous parlons de sprint dans les courses. En athlétisme, le 100m est la discipline reine parce qu’elle est celle de la vitesse pure, et donc celle qui est le moins impactée par de possibles faits de course. C’est celle de la classe. Pourtant, aligner tous les chronos réalisés sur 100m et les analyser en tant que tel n’est pas absolu. Même la vitesse est pondérée par les éléments extérieurs : il y a le vent mais aussi l’altitude. Il faut donc corriger le temps.

Tout le monde connaît Usain Bolt, l’homme le plus rapide au monde… L’est-il vraiment ? Si l’on prend les meilleurs chronos réalisés sur 100m, les performances d’Usain Bolt sont aux trois premières places et il détient quatre des dix meilleurs chronos de tous les temps. Usain Bolt est donc l’homme le plus rapide au monde. CQFD ! Pourtant… Il est encore bien plus fort que ce que disent les temps bruts ! Si l’on pondère les meilleurs chronos en effaçant les effets du vent et de l’altitude, Usain Bolt a, en réalité, réalisé les quatre meilleurs chronos sur le sprint – et non pas trois – et il est l’auteur de six des dix meilleurs jamais réalisés – et non pas quatre.

Usain Bolt nous interroge donc sur la performance d’Ace Impact : le poulain détient-il réellement le record du Jockey Club et des 2.100m de Chantilly, ou avait-il juste les éléments en sa faveur ?

Duel 1 : Ace Impact vs Sottsass

La comparaison la plus évidente est celle entre Ace Impact et Sottsass, qui avait signé en 2019 le record du Jockey Club 2.100m et de la piste en 2’02’’90. Ace Impact les a abaissés à 2’02’’65. Voici les temps bruts qu’il nous faut, désormais, pondérer.

Bruno Barbereau relève la mission : « Il y a deux éléments pour créer des records. Le premier est la condition atmosphérique et l’état de la piste. Le vent, dimanche, n’était pas assez fort au moment du Jockey Club pour avoir une incidence. Le second, dans le cas d’une course comme le Jockey Club, est le rythme de la course puisque nous sommes au-dessus de 1.200m et, dans 90 % des cas, le Jockey Club – comme le Diane – est une course avec beaucoup de rythme.

Ace Impact et Sottsass ont réalisé des temps bruts très proches. Mais Ace Impact est-il vraiment allé plus vite que Sottsass ? Nous avons la chance d’avoir des outils modernes qui nous permettent de pondérer l’état de la piste et d’en mesurer la vitesse via un indice en secondes. Quand Sottsass a gagné le Jockey Club, la piste donnait un avantage de 3,035 secondes. Dimanche, la piste a donné à Ace Impact un avantage de 2,783 secondes. Elle était donc plus rapide pour Sottsass. L’outil MoneyTime que j’ai développé avec JDG nous permet de ramener la piste à zéro, et ainsi, d’effacer l’avantage de vitesse. Cela donne à Sottsass un chrono de 125,94 secondes et, pour Ace Impact, un chrono de 125,41 secondes. Autrement dit : Ace Impact, sur une piste “neutre”, aura devancé Sottsass de 2,6 longueurs. Et si Ace Impact avait égalé le chrono brut de Sottsass au passage du poteau, sans le battre, la pondération de la piste nous indique que, dans une course virtuelle, il l’aurait quand même bel et bien battu.

La conclusion est sans appel : Ace Impact a battu Sottsass. »

Duel 2 : Ace Impact vs Vadeni

Le handicapeur de France Galop a tranché : il a attribué un rating de 123 à Ace Impact, soit le même reçu par Vadeni (K) (Churchill) l’an passé. Ace Impact a pourtant été beaucoup plus vite, pourriez-vous nous dire… Mais est-ce bel et bien le cas ? Bruno Barbereau a mis en action tous ses outils pour le déterminer : « Je crois que tout le monde s’accorde pour dire que Vadeni avait réalisé une excellente prestation l’an passé dans le Jockey Club. Il s’imposait en 2’06’’65. Mais, en 2022, le terrain était mesuré souple et mon calcul sur la vitesse de la piste indique une piste lente de 1,281 secondes. J’ai donc ramené la vitesse de la piste à zéro pour comparer les temps d’Ace Impact et de Vadeni : Ace Impact réalise ainsi un chrono de 2’05’’41 et Vadeni un chrono de 2’05’’37. Cela veut dire que Vadeni est un tout petit peu devant… mais d’un rien ! Les deux poulains sont à la photographie, et je vous assure que le résultat mettrait un temps certain à être confirmé par les juges à l’arrivée ! »

L’analyse est encore plus fine que cela, puisqu’il faut également prendre en compte, dimanche, la question de la distance réelle parcourue et celle de la température. Elle était très élevée du côté de Chantilly, ce qui a eu un impact direct sur les jockeys : « Vadeni a parcouru 47cm de plus qu’Ace Impact lorsqu’il a gagné le Jockey Club. Mais il portait également une livre de moins que son rival virtuel puisque, dimanche, il faisait plus de trente degrés et les jockeys avaient droit à une livre de plus pour cause de chaleur. J’ai ajouté ces deux éléments à ma pondération et la photographie finale est encore plus serrée : 2’05’’38 pour Vadeni et 2’05’’41 pour Ace Impact. Nous pouvons aussi pondérer les temps partiels dans la ligne droite et le résultat donne une copie conforme entre les deux poulains des 600 aux 200m. Vadeni comme Ace Impact sont en 11’’70 des 600 ou 400m et, des 400m aux 200m, Vadeni est en 11’’60 et Ace Impact en 11’’50. Les derniers 200m sont en revanche impossibles à juger puisque Christophe Soumillon, en selle sur Vadeni, était déjà debout sur les étriers à 50m du poteau. Qui l’aurait emporté s’il avait fallu lutter ? Impossible de le savoir et chacun aura son avis. Mais, selon mes outils, une chose est certaine : Vadeni et Ace Impact sont les deux meilleurs gagnants de Jockey Club de ces dix dernières années. Et si je convertis mes MoneyTime ratings (notre “Timeform” français basé sur la vitesse réelle) en ratings officiels, voici ce que j’obtiens : Ace Impact et Vadeni en 124, et Sottsass en 120. En mettant Ace Impact sur la même ligne que Vadeni, le handicapeur a tapé dans le mille… et le Jockey Club a révélé deux poulains hors-normes ! »

VOUS AIMEREZ AUSSI

Les plus populaires