Sir Gino (K), le joyau “Deshayes”
Invaincu en trois sorties, Sir Gino (K) a été samedi la sensation de Cheltenham. Il a remporté le JCB Triumph Trial Juvenile Hurdle (Gr2) de dix longueurs. Il a grandi en Meurthe-et-Moselle, à la ferme Lagrange, élevé par la famille Deshayes. Pascal Deshayes nous a raconté l’histoire de ce champion en herbe.
Par Christopher Galmiche
cg@jourdegalop.com
Florilèges de superlatifs
« Je pense que nous avons un crack ! C’est peut-être le cheval d’une vie ! » Même au téléphone, on sent que Pascal Deshayes a les yeux qui brillent en évoquant l’élève de la famille, Sir Gino. Il y a de quoi et les propos de l’éleveur trouvent écho avec ceux de Harry Cobden, jockey du dauphin de Sir Gino samedi : « C’est une machine, une vraie machine. Mon partenaire, Burdett Road, a un rating de 101 en plat mais Sir Gino nous a battus aisément. Je serais surpris qu’il ne gagne pas le Triumph Hurdle. » Que de chemin parcouru par Sir Gino depuis sa victoire brillante dans le Prix Wild Monarch (L) !
Des défricheurs
Chez les Deshayes, l’élevage est une histoire de famille. Pascal Deshayes fait partie de la troisième génération à élever des chevaux de course, tout en conjuguant le travail qu’exigent une exploitation céréalière et l’élevage de charolais. Il a été également l’une des chevilles ouvrières du haras de Rosières-aux-Salines. Son père a standardisé le cheval de trait ardennais et il en a fait commerce jusqu’en Russie et au Japon. Par la suite, son père et son oncle ont arrêté cette activité. Il y a toujours quelques chevaux de trait à la ferme Lagrange, mais l’élevage a été orienté vers les chevaux de course. Là encore, la famille Deshayes a ouvert la voie : « C’est notre famille qui a introduit les pur-sang dans l’Est. Nous avons notamment ramené deux étalons – dont Tiffauges – qui ont fait des gagnants. » L’Est a été une terre fertile en bons chevaux. La mère de La Lagune (Val de Loir), Landerinette (Sicambre), a grandi en Meurthe-et-Moselle, tout comme Shinca (Port Lyautey), future grande poulinière. Plus récemment, la ferme Lagrange a “sorti” Désir de Mai, Don’t Be Shy, Sir d’Alma ou encore Papy Mamy. Sir Gino pourrait bien être le cheval d’une vie pour l’élevage de la famille Deshayes qui compte désormais une douzaine de poulinières.
La genèse de l’entrée dans la famille du “Sir”
Pascal Deshayes nous a raconté comment il est entré dans la famille du favori du Triumph Hurdle : « Nous n’avons pas eu de chance avec Anzi Star (Anzillero), la mère de Sir Gino, car elle est morte d’une crise cardiaque. J’étais en contact avec Didier Guillemin et j’avais repéré la mère d’Anzi Star, L’Éclipse Française (Jeune Homme), qu’il avait à l’entraînement. Elle avait notamment fini troisième du Critérium du Béquet (L) derrière deux bons chevaux. Un jour, il m’a dit que le propriétaire de L’Éclipse Française voulait s’en séparer et je la lui ai achetée par téléphone. Mais je connaissais ses performances. Elle était très précoce et rapide. Au haras, elle n’a pas été chanceuse avec sa production, mais elle a quand même eu Anzi Star, la mère de Sir Gino. Bien qu’elle soit par Anzillero, Anzi Star était assez précoce et elle est partie à l’entraînement chez Didier Guillemin. Elle avait débuté en concluant quatrième à Bordeaux derrière Avenir Certain (K) (Le Havre). Elle a gagné un maiden à Tarbes. Ensuite, elle a été moins bien et nous l’avons mise chez Yvonne Vollmer pour laquelle elle a gagné. Puis elle a fait une petite tendinite, très légère, et nous l’avons arrêtée. Nous l’avons mise à Pomellato (Big Shuffle) et elle nous a donné Pommelie, mais celle-ci n’a pas pu courir suite à un souci. Elle va être saillie par It’s Gino (Perugino). Ensuite, Anzi Star a eu Gino Star (It’s Gino), qui a gagné en débutant, puis Sir Gino. Ce dernier avait été élevé avec le cheval d’un ami. Jeune, il se déplaçait très bien et avait un caractère en or. Physiquement, il était d’aplomb, il avait du chic. Pour son entourage, c’est un phénomène. Il a gagné trois courses aux bras. Il a de la marge. James Reveley et Bertrand Lestrade, qui avaient travaillé Sir Gino le matin, avaient été séduits, avant ses débuts. Il avait gagné très facilement le Prix Wild Monarch avec Tanguy Andrieux qui l’a très bien monté. Il avait les ordres de ne pas le taper et de ne pas aller devant. Il a battu un poulain estimé à Auteuil en étant à 80 %… »
L’achat d’It’s Gino
Pascal Deshayes est l’un des instigateurs de l’arrivée en France d’It’s Gino (Perugino), troisième de l’Arc (Gr1) de Zarkava (K) (Zamindar). Après une période compliquée, l’étalon qui officie désormais au haras de la Barbottière, connaît des statistiques très flatteuses, notamment au niveau black type. Pascal Deshayes se remémore : « Nous nous étions retrouvés sans étalon à Rosières au 10 décembre, après un essai infructueux sur un autre étalon. Par l’intermédiaire d’un ami, j’ai su qu’It’s Gino était disponible sur le marché allemand. Le propriétaire du cheval avait des parts de Sea the Moon et il emmenait une grande partie de ses juments à ce dernier. Lorsque nous sommes arrivés chez lui, It’s Gino était là et il saillissait entre sept et dix juments de son propriétaire. J’ai vu des produits d’It’s Gino avec de bons aplombs. Je me suis dit banco ! Dans l’Arc, il a été battu par une phénomène, Zarkava, et il y avait plusieurs futurs bons étalons dans le lot comme Vision d’État (Chichicastenango), Kamsin (Samum) et Blue Brésil (Smadoun)… Nous avions loué It’s Gino et le jour où il a sorti Lalor en Angleterre, les Anglais sont arrivés en Allemagne pour essayer d’acheter le cheval. Nous avons donc fait une offre aux Allemands pour l’acheter. Avec Michel Contignon, nous étions les rares à croire en It’s Gino. S’il avait sailli 2.000 juments, il serait tête de liste. Les jeunes produits d’It’s Gino qui arrivent proviennent de la saison où il a fait 110 juments à Rosières. Il y a encore une belle année à venir puisqu’il a fait 83 juments au Lion. Je n’ai donc pas réfléchi longtemps pour choisir un étalon pour Anzi Star. Elle était gagnante, avec un physique correct. Nous avions It’s Gino sur place et nous l’avons soutenu. J’ai fait énormément de gagnants avec lui. J’ai toujours suivi les étalons allemands. Ils ont des souches maternelles sélectionnées depuis l’après-guerre. Et pour être étalon en Allemagne, il ne faut jamais avoir eu de problèmes de santé. Ce sont des chevaux qui ont de la tenue, de la vitesse, vont dans les terrains lourds et sautent ! »
L’amitié avec la famille Lerner
Comme souvent, derrière la victoire de Sir Gino, il y a plusieurs histoires d’amis. C’est le cas avec les familles Deshayes et Lerner. « Carlos [Lerner, ndlr] ? C’est un ami de plus de quarante ans ! Nous nous étions rencontrés aux ventes de Deauville où je me rendais depuis l’âge de 10 ans avec mon père et mon oncle. À l’époque, il arrivait d’Argentine et s’était installé à Maisons-Laffitte. Avec mon père, nous lui avions mis deux chevaux et les deux ont gagné ! Nous avons continué ensemble par la suite. J’ai notamment eu chez lui Sir d’Alma (Croco Rouge), qui avait gagné le Prix d’Essai des Poulains à Enghien. Je l’ai récupéré ensuite à la retraite. Nous avons eu de nombreuses victoires ensemble. Il y a deux ans, je lui ai dit : “Carlos, j’ai ce qu’il faut pour toi !” Nous avons fait débourrer Sir Gino chez David Gleize qui est le seul pré-entraîneur de Moselle. Ce dernier me disait souvent qu’il pensait que nous avions un avion avec Sir Gino car, lorsqu’il avait fini de monter la côte à l’exercice chez lui, les autres soufflaient, et lui en redemandait. Sir Gino avait été débourré en septembre chez David Gleize et il est resté quatre mois ensuite chez Carlos et Yann avant de gagner le Wild Monarch. David Gleize a eu aussi Ginagold avec laquelle nous avons pris notre temps et qui a gagné le Prix Finot (L). Elle avait perdu un peu de physique suite à cette victoire. Nous voulions courir les Prix Magne et Bournosienne, mais nous l’avons laissée tranquille. Nous l’avons mise en thalasso et elle revient cette semaine chez Carlos. Sa mère, Goldamai (Librettist), va aller à Jigme (K) (Motivator) car elle “marche bien” avec le sang de Montjeu. »
Une passion familiale
Nicolas Deshayes fait partie de la quatrième génération à s’impliquer dans le monde des courses. À sa façon, il contribue au renouvellement du propriétariat. Son père, Pascal, nous a expliqué : « Nous vivons tout cela en famille avec mes frères et mon fils Nicolas aussi, qui a monté l’écurie des Alérions avec 21 associés. Ce sont tous des amis de la famille, qui n’avaient rien à voir avec le monde des courses. Ils ont créé un groupe Whatsapp pour suivre les chevaux de l’écurie. Ils n’ont pratiquement eu que des It’s Gino chez plusieurs entraîneurs et tous les chevaux ont fait l’arrivée. Mon fils a introduit plein de jeunes dans les courses, qui sont susceptibles après, pourquoi pas, d’avoir leurs couleurs. » Deshayes est un nom qui sort de plus en plus de bons sauteurs. Pourquoi cette balance penche-t-elle vers l’obstacle ? Pascal Deshayes nous a rappelé : « J’ai toujours été passionné de plat. Je suis ami avec Pierre Talvard et nous avons fait le tour du monde ensemble. Nous sommes allés à Keeneland pour acheter des foals, à Newmarket… Mais naviguer dans le plat est impossible et c’est tellement aléatoire. Il n’y a qu’avec l’obstacle que l’on peut s’en sortir ! Il y a plus de facilité pour sortir un bon cheval en obstacle. »